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Trois saisons...

Trois saisons...

Oui ! Je sais !!! Normalement, lorsqu’on parle des saisons, on dit toujours les ‘’quatre saisons’’. Que l’on s’adresse à Antonio Vivaldi, violoniste de renom, ou à Dame Nature, il va de soi, que ce ne soit que ce chiffre qui ressorte. Et il faut bien qu’elles se suivent les unes, les autres, si l’on veut parvenir à passer une année entière, et espérer découvrir la suivante encore plus agréable. De tout temps, Le temps s’est compté ainsi et on ne peut y déroger.

Ce matin, faute de mieux, Je suis dans mon grenier. Dehors il pleut, et pas moyen de bosser au jardin, la terre colle de trop. ‘’ Vraiment ! S’enfermer à l’intérieur en plein mois de Mai, y’a plus de saisons. On est en Lorraine merde ! Pas en Écosse ‘’. Je fais le tri dans mes cartons, j’ai besoin de place pour me faire un petit studio de répétition, voir d’enregistrement, et en même temps je dépoussière mes amplis, mes synthés et mes guitares. Tout compte fait, Je suis bien dans ce trou à rat, même si je n’en ai jamais vu dans ma maison. Pourquoi tout à coup, ai-je des musiques qui me viennent à l’esprit, et pourquoi ai-je envie de les coucher absolument sur une portée musicale, alors que çà fait plus de 20 ans que je n’ai rien composé ? En rangeant tout ce foutoir accumulé depuis des plombes, les vieux papiers et autres bibelots, je tombe sur une boite métallique, verrouillée par deux ficèles croisées, soudées entre elles avec de la bougie rouge, un peu comme un scellé de scène de crime. (Surement pour savoir si quelqu’un aura essayé de l’ouvrir ? pense-je !) Le scellé est intact.

Je la reconnais très bien cette boite, et je ne veux pas l’ouvrir. Trop de souvenirs, et pas que des bons, sont dedans. Rien que de la voir apparaitre, j’en ai l’estomac qui se noue. Je vais la jeter au feu directement, comme çà on n’en parlera plus jamais. Je la fais tournoyer entre mes mains. Les gâteaux qui étaient dedans ont largement été digérés, et de toute façon, les madeleines de Liverdun doivent être mangées sous trente jours, sinon, elles perdent de leurs moelleux. ‘’ Quel Con ! ‘’ Je sais bien qu’il n’y a plus le moindre ‘’étouffe-chrétien’’ dans ce coffret bidouillé par mes soins, puisque c’est moi qui l’ai ficelé. Je souris de ma blague, mais mes lèvres sont un peu crispées.

Je voudrais poser ce relent de jeunesse, et passer à mon rangement, mais non ! Mes doigts sont comme collés dessus, les souvenirs me reviennent en pleine face et je me surprends à dérouler pensivement le film de mon passé. Je pose un pied sur mon cajon encore plein de poussière. Je sais qu’à l’intérieur de cette boite, il y a des documents. Enfin ! Des brouillons raturés, pliés en quatre, rangés en paquets de dix et reliés ensemble par des élastiques. Et je sais aussi qu’ils sont écrits de ma propre main. Sur le couvercle, il y a une date notée au marqueur noir. 1994… …

Cette année là, je ne pu compter que trois saisons. J’avais inconsciemment zappé l’hiver, et le printemps aurait également eût le même effet sur moi si la situation ne s’était emballée tout à coup.

Sûrement trop pris par mes activités professionnelles, peu brillantes, celles qui nous font voir défiler les journées toujours au même rythme, je vivais les semaines comme un mouton. Ma vie personnelle, chaotique, n’allait pas du tout comme je l’avais imaginé, lorsque je pensais avoir trouvé le grand Amour, et le vivre jusqu’à la fin de mes jours. Cette relation que je vivais pour l’heure et à laquelle je m’accrochais, était catastrophique. Il aurait mieux value que je ne la rencontre jamais ou que je me sauve en courant, plutôt que de croire en ce salut sentimental qui ne me sortait pas de la tête et qui mettait mes sens sans dessus, dessous.

C’est une sonnette interne qui vint me réveiller. Enfin ! Plutôt un coup de téléphone. Une responsabilité me tombait tout à coup sur les épaules, dont je n’étais ni préparé, ni formé, et que je n’envisageais pas du tout, vu le peu de stabilité affective et financière que je possédais.

Le test de grossesse était apparemment sans appel. J’allais devenir Papa.

J’appris la nouvelle sur la route qui mène de Longwy à Villerupt, et ma première réaction après avoir raccroché le téléphone, dans cette voiture de fonction qui était mon bureau, mon resto, et parfois même mon hôtel, fût de m’arrêter sur un chemin champêtre, bien garni d’arbres ou le soleil transperçait les feuilles des hêtres, sous forme de rayons laser tatouant le sol, et qui réchauffait l’air de ce début d’Avril. La douceur du vert clair des jeunes pousses feuillues, me donnait une impression d’Éden. Je respirais à pleins poumons l’air, au travers de la portière, la vitre baissée à fond.

Moi ? Papa ? Ce sentiment me prit jusqu’aux trippes. Rien à voir avec une jouissance physique. Faire l’amour, avec ou sans amour, c’était facile, pour le beau gosse que j’étais à cette époque. On est adulte, chacun y consent, on prend son pied et voilà ! Ouah ! Mais là !!!!!! Le coup d’électricité qui m’est passé du haut de la tête jusqu’en bas des doigts de pieds était indescriptible. Je n’avais jamais ressenti pareil électrochoc durant toute ma jeune vie de trentenaire.

Oulah là, là ! Créer un petit être, c’est tout de même quelque chose, c’est la continuité de soi que de donner la vie. Cà se réfléchit, çà se regarde les yeux dans les yeux, et ensuite çà se partage dans un lien d’amour réciproque, physique certes, mais complice. Cà se discute à deux, (au moins) !!! Pourquoi, moi, Je n’ai pas droit à ce moment intime, ni aux bonnes questions de notre devenir, ni au choix de l’arrivée de ce bonheur ? …

Bon ! Tant pis ! Je prends sur moi… A bien y réfléchir à chaud, et si c’était lui, le plus beau des rendez-vous que j’avais avec moi-même et avec la vie ?

Les premiers frissons de bonheur passés, je coupais le moteur de ma voiture, et sortis du véhicule.

-Donc, si je compte bien, la petite graine à prit forme il y a déjà au moins quinze jours. Tout comme ces grains de blé semés autour de moi, dans ce champ à perte de vue, et pour l’instant rien ne se voit. Cela faisait au moins dix ans que je ne n’avais plus posé mes yeux sur une parcelle de terre. Elles étaient belles, avec leurs sillons bien tracés, toutes brunes, leurs reflets et leurs dégradés de plus en plus pastel dès lors qu’on pousse le regard vers l’horizon. Tout comme ces grains de blé, ce petit spermatozoïde, mon petit spermatozoïde, va payer de sa vie pour la donner. Ce début de printemps s’annoncerait-il bien, me dis-je, après m’être remis de cette émotion ? Les feuilles des arbres clapotaient, applaudissant mon futur statut de Papa, grâce au vent doux de ce début de printemps. Les colzas commençaient à jaunir la prairie, on aurait cru un patchwork de vert, de jaune, de brun, étalé sur la nature, cousu de toute part par ces agriculteurs qui font la fierté de notre Lorraine. Et cette odeur de terre fraîche qui me montait au nez, j’avais l’impression de renaître tout à coup.

En fait de renaissance, c’était une naissance à venir qui faisait pointer mes yeux sur le monde et sur la nature, prendre quelques photos de cet instant magique, que je vivais seul, alors que dix minutes plus tôt, je marchais dos courbé et tête baissée depuis trop longtemps face à mes petits soucis personnels d’adulte célibataire.

Je fais quelques pas sur ce sentier mi-champêtre, mi-forestier, en shootant dans les cailloux qui se mettent en travers de mon chemin et j’essaie de réfléchir. Tiens ! Ce coin serait super pour aller au muguet, les feuilles sont nombreuses, pas encore très hautes, mais bien formées. Ca donnera sûrement de l’argent à celui qui connait l’endroit et qui aura le courage de venir le ramasser ! Le premier Mai n’est plus très loin. De toute façon, il n’est pas question d’I.V.G. Nonobstant le coté religieux, j’ai toujours été contre l’avortement, et je considère ma situation présente, comme un cadeau de la vie, et puis, c’était à moi à faire gaffe. Ce qui est troublant, c’est que je faisais très attention, ou pas ?

Comment allons-nous faire ? Je suis sans un sou d’avance, elle ne travaille pas, nous ne vivons même pas ensemble. Depuis un an que nous nous fréquentons, nous n’avons jamais passé plus d’un week-end ensemble, et à chaque fois, çà se termine en dispute. Est-ce que la venue de ce petit être saura nous calmer et nous unir ? Tout se bouscule dans ma tête, je mêle la panique de mon âme à mon emploi du temps. Je fais un match de boxe contre deux trois mouches qui cherchent à me glisser des Bssss Bssss dans les oreilles. Ne connaissant pas leur langage, aucuns intérêts à les laisser me raconter leur vie.

Eeeehhhhh ! Mais c’est que j’ai des contrats musicaux à honorer. Cà signifie que je vais passer des soirées à l’extérieur, faire des répétitions, de la route, et le matos ne se monte pas tout seul. Nous sommes quand même assez connus en Meurthe et Moselle et dans le pays des trois frontières. La dernière fois qu’on s’est déplacé pour le Carnaval à Remiremont, çà nous a prit toute la journée, et le retour ne s’est fait que tard le lendemain matin…

C’est cette situation qui ‘’ apparemment ‘’ poserait problème dans notre ‘’couple ‘’. Je suis musicien…

Ce métier implique de devoir partir des soirées entières de la maison, ‘’s’amuser’’ pendant que ‘’Madame’’ est devant sa télé à pleurer en regardant ‘’ Dirty Dancing ‘’, et moi, voir du monde, et surtout de belles femmes… Elle ne le sait que trop, vu qu’elle m’a rencontrée dans une de ces soirées.

Assis sur mon cajon, à la lueur d’une ampoule de 60 Watts, tout en le tapotant pour vérifier le son de caisse claire, une réflexion toute bête me monte aux neurones. La vox populi doit penser que les musiciens sont des salops, au même titre que les plombiers, les commerciaux et les barmans. J’ose annoncer ces métiers sans vergogne, vu que je les ai tous pratiqués dans ma vie. Et à chaque fois, quelques mauvaises langues m’ont dénigré, alors que je suis le plus fidèle des hommes.

La future maman de mon enfant, (mais je ne le savais pas encore), débarqua un soir dans la discothèque pour laquelle j’étais payé en tant que musicien, afin de faire danser des gens sur des rythmes afro-latino-brésiliens, et faire chauffer une salle, dans le but de dilapider le stock de rosé et autres vins de Moselle que le Luxembourg a de meilleur. La bière étant moins bonne de ce coté de la frontière, on ne se précipitait pas trop dessus. Si, grâce à cette chaude ambiance, il y avait, ‘’ plus si affinité ‘’ pour la clientèle, çà ne faisait que renforcer l’image de marque de l’établissement, et bien sûr, çà attirait les plus curieux, voir même les meilleurs danseurs. Et nous, musiciens, çà nous donnait plus de contrats à l’année. Tout le monde était gagnant.

C’est là qu’on s’est rencontré. Entre un tango argentin et une rumba-fado, je la vis tournoyer devant l’estrade. Elle était le sosie quasi parfait de la fille que j’avais aimé lorsque j’avais 20 ans, et qui était partit trop tôt, en plein hiver sur une plaque de verglas, dans le tournant en haut de la côte du bois de Moncel. J’avais eu du mal à m’en remettre à l’époque, et tout à coup, son image me revenait en pleine poire comme si je la voyais danser sous mes yeux.

Je lance un dernier caillou dans le fossé du chemin, encore rempli des eaux de l’orage essuyé la veille, et je remonte dans la voiture pour décrocher mon téléphone. En 1994, j’étais déjà un précurseur du téléphone portable… (Enfin portable !!!!). A cette époque, il était encore relié au système électrique de la voiture, et le fil en queue de cochon, qui ressemblait au jack de ma guitare, n’allait pas beaucoup plus loin que devant la portière ouverte. J’avais la chance de travailler comme commercial à temps choisi, et notre patron dans sa grande bonté, tenait à nous avoir à chaque instant au bout du fil, pour savoir si les bons de commandes se concrétisaient.

Je dois en avoir le cœur net ! Une vie de famille va-t-elle être possible ? J’appui sur ‘’dernier appel reçu’’, pour ne pas me tromper dans le numéro, et ma dulcinée décroche.

-Quoi encore ?????? Je t’ai dis que j’étais enceinte, je ne t’ai pas dit de me surveiller à tout bout de champs !

-Ok ! J’ai juste besoin de savoir, est-ce que nous nous séparons pour de bon, ou as tu réfléchies à la suite de notre vie ?

-Ben je le garde et on va essayer ! Si tu fais des efforts !!!!

-Quels efforts ?

-Ben tu arrêtes de faire ta musique et tu te trouves un boulot normal !!!!

-Ah ! Et tu penses qu’après çà, tout ira bien ?

-Mais bien sûr ! Tout le monde qui va avoir un enfant travaille normalement ? Non ????? Pas vendre de la peinture de temps en temps et jouer les week-end dans des boites. (NDLR : Mots rapportés à la perfection. Et encore, à l’écrit, je ne peux pas donner le ton de la voix, ni l’accent si particulier, copié à merveille sur les gens qui demeurent de l’autre coté de la frontière Luxembourgeoise).

-Ce qui veut dire que je dois choisir entre notre couple et ma musique !!!

-T’as tout caaaaampris ! Bip ! Bip ! Bip !

- Allo ???

Quel dilemme… A-t-on le droit de forcer quelqu’un à faire pareil choix ? C’est tout de même le métier auquel je me destine que de jouer de la musique, j’ai passé des nuits à écrire et à composer des chansons. J’ai tout misé là-dessus, parce que c’est la musique qui me rend heureux et vivant. Je suis mort si je ne crée pas.

Combien de fois j’ai joué et rejoué des airs pour les savoir par cœur afin de ne pas lire mes partitions les soirs de spectacle ? Et de plus, çà met pas mal de beurre dans les épinards ? Tout le monde en profite lorsque je ramène cette oseille gagnée honnêtement. Cet argent n’a pas plus mauvaise odeur que si j’avais été le chercher à l’usine ou au bureau ?

Et s’il n’y avait que çà ? Mais elle n’adhère pas non plus à mon métier de commercial, vu que je n’ai pas d’horaires fixes, donc pas maitrisable en termes de timing, et cela, Madame n’aime pas. Elle veut pouvoir aller faire les magasins, ‘’schnailler’’, ou ‘’ raouer ’’, quand je rentre, donc à des heures ouvrables….

Pour le coup, je ne peux pas arrêter ces deux jobs. D’abord, parce que les chômeurs courent les rues de nos jours, de plus, je ne sais pas faire autre chose, je n’ai pas de métier manuel pour pouvoir bosser en usine ou dans un atelier. Faire mes huit heures et rentrer à la maison, ce n’est pas mon truc. Je ne connais pas cette ambiance ou on a un chef sur le dos, et ou on exécute les ordres donnés… Je suis un compositeur, si je n’ai pas ma dose d’adrénaline créatrice quotidienne, je ne peux plus vivre, plus rire, plus être bien… Comment pourrais-je donner du bonheur à ma compagne et à notre enfant si je ne suis pas moi-même, bien dans ma tête ? Elle le sait ! Elle m’a connu comme cela ! Je n’ai jamais voulu changer de cap… Être artiste, de nos jours, c’est un métier dur, mais tellement honorable.

Les larmes que j’essuie tant bien que mal sur la manche de ma chemise ne consolent que moi, hélas… Je m’en retournais penaud chez moi, ulcéré et triste de cet ultimatum qui planait au dessus de ma tête comme une épée de Damoclès.

Les jours qui suivirent furent pour moi une déchirure psychologique profonde. Trois jours et trois nuits, seul, à regarder mes textes, mes guitares, à les caresser, à les faire crier, à leurs demander de me trouver ‘’ la ‘’ solution. Tu parles d’un blues !!! J’ai l’impression de faire mes adieux à la vie, à mon bonheur, à tout ce que j’ai construit durant ces quinze dernières années, et lâchement abandonner ce que j’aime le plus : La musique et la création. Cette décision est tellement dure à prendre que j’ai appelé mes amis Picard et Ricon à la rescousse. Je n’y arrive pas.

Je fais le tour du village et des alentours, habillé en chasseur de champignons, pour essayer d’y voir plus clair, mais en fait, je ne vois rien. Ni champignons, ni plaisir, et surtout aucune issue. Ces pensées troubles occultent mon discernement. Les jeunes bœufs tout fraîchement castrés, qui viennent de découvrir les parcs après un hiver long, s’éclatent comme des fous en courant dans la prairie. (Si pareil cas m’arrivait, il est certain que je courrais aussi vite.) L’herbe verte et haute les enivre sûrement un peu pour qu’ils se roulent comme çà dans la luzerne, alors que moi j’essaie tant bien que mal de dessaouler. Les tracteurs qui s’affairent dans les champs laissent traces de leurs passages dans cette terre humide, et les désherbants qu’ils déversent avec leurs grands bras collés au cul du bahut, me font quand même me poser la question de savoir si la campagne est encore l’endroit ou l’air est le meilleur ? Je ne sais de quoi va être fait mon avenir, mais si ma descendance vit avec moi ici, j’aimerais quand même pouvoir lui donner ce qu’il y a de meilleur. Elle le vaut bien…

Au bout de trois nuits sans dormir, la fatigue décida pour moi. J’en informai mon chef d’orchestre lors d’une dernière répétition chez Nicole, à l’heure de l’apéro. Mes deux meilleurs amis furent offusqués. Et J-M-M prit la parole.

-Mais t’es fou ? Tu ne peux pas ! Avec tout ce qu’on a vécu, te rends-tu compte de ce que tu me dis ? Tu ne peux pas nous lâcher. Tant d’années pour arriver à ce niveau, et tout gâcher d’un seul coup ? Et puis ! Ca ne s’appelle pas de l’amour ce que tu vies là ! Si c’était l’Amérique avec elle, elle te laisserait vivre ta passion et serait heureuse pour toi et pour vous ? Non ? C’est pas de l’amour çà ! C’est de la possession, de l’égoïsme, elle va te tuer à agir comme çà… Jamais ma femme ne m’a interdit de faire de la musique ! Au contraire ! Elle sait que c’est çà l’harmonie de notre couple et c’est à cela qu’on reconnait le véritable Amour…Respecter la passion de l’autre. Et il ne faudrait surtout pas qu’elle s'aventure à me demander de choisir entre mon accordéon et elle ! Elle serait surprise de la réponse !!! Roger, notre pianiste, acquiesçait d’un regard triste.

Mon chef d’orchestre, mon aîné de vingt ans, était mon plus fidèle ami, et un peu comme un père, me faisait la morale. Généralement, ses paroles se révélaient être d’une lucidité affolante.

–Je t’aime bien tu le sais, mais là, je crois que tu fais la plus grosse connerie de ta vie. Tu vas t’en bouffer les doigts dans peu de temps.

-Ne revends surtout pas tes instruments, parce que tu y reviendras un jour, conclu Roger. Et J-M-M d’insister.

-Tu nous fous dans la panade, et tu te suicides aussi… Je respecterai ta décision, mais je la trouve mauvaise et injuste pour toi…

… Bon ! Maintenant que j’ai réglé bien malgré moi le problème musical, il faut que je passe voir ma future petite famille.

Il est vrai qu’on ne décèle pas encore la présence du petit être, et nous profitons de ce moment de répit pour nous adonner durant quelques jours à une vie de couple physiquement au top. Sorties, restos, plaisirs divers. Nous n’avons pas encore abordé l’avenir de notre couple ni cette situation de ‘’ presque ’’ parents. Et lorsque j’essaie d’ouvrir l’album de notre futur commun, elle botte en touche, prétextant qu’elle ne devrait pas rentrer trop tard pour être en forme le lendemain à son stage. Elle ne voulut pas que je reste près d’elle plus longtemps, et m’appellerait quand elle aurait besoin de moi.

-Mais ne crois tu pas que l’on devrait rester ensemble pour préparer l’arrivée du Bébé ?

-On a le temps, et pour l’instant j’ai pleins de choses à faire.

-D’accord, d’accord !!!!! Ca recommence… Je disais ‘’ d’accord ‘’, mais en fait, je ne l’étais pas du tout.

Un mois passa, à ne se parler que par téléphone, (le soir en général), je ne savais rien de ce qu’elle faisait de ses journées, et l’horloge déroulait ses aiguilles tellement lentement que je pouvais voir jour après jour l’avancée des cultures de mon jardin.

Les laitues prennent vraiment de bonnes tailles, la ciboulette commence déjà à faire ses semences, et c’est le seul plaisir que je ressens lorsque je la hache finement dans l’omelette que je me fais le soir. Cette fraîcheur des herbes m’a toujours mis l’eau à la bouche. Les patates commencent à sortir de terre, je vais devoir les buter. La rhubarbe a bien poussée par contre, avec ce temps humide. Elle fait déjà ses choux. Maman sera contente de faire une bonne tarte. Par contre cette année, le radis cale… C’est à peu près le seul trait d’humour que je m’autorisais, vu l’état d’esprit pitoyable dans lequel je me retrouvais. Que c’est dur la solitude alors qu’il y aurait tant de choses à faire ensemble.

Putain ! L’orge a déjà tous ses cheveux, et je n’ai encore rien vu de ce ventre que je rêve de caresser. Ca y est ! On ne voit plus la moindre parcelle de terre brune dans les champs. Tout a levé. Les colzas n’ont plus leur robe jaune, les blés d’avril font une jolie pelouse dans ces carrés remembrés. Les jeunes merles piaillent tout ce qu’ils peuvent dans les bosquets. Les allergies sont presque terminées, les cerisiers et les mirabelliers montrent une autre envergure, cette année ne sera pas une année de fruits à noyaux. Ils ont bien fleuris mais la pollinisation n’a pas été terrible. Les abeilles commencent à faiblir malheureusement. De quoi cela peut-il provenir ? Nous sommes tout de même à la campagne ! Les pesticides ?

(Non ? Pas en 94 ?, pensais-je dans le fond de mon grenier.) Qui sait ?

La future maman de notre bébé m’autorisa à venir assister à la première échographie. Pour une première, c’était sympa, je découvrais cet univers hospitalier, (enfin ! hospitalier, que de nom, parce qu’on ressemble un peu à des numéros dans ce genre d’établissement), et cette soirée nous redonna un goût d’amour que j’aurais aimé humer tous les jours. Nous voici repartit pour quelques jours de ’’ pseudo ’’ bonheur, pensais-je ! Aussitôt dit, aussitôt réglé ! Une dispute me fît partir une nouvelle fois de son appartement, à peine deux nuits passées ensemble. N’étant pas chez moi, ni même déclarés ensemble, que pouvais-je faire ? Elle me chassait et j’obtempérais. Quel connard je suis tout de même, à accepter toutes ces contraintes et ces humiliations verbales. J’en perds ma fierté et si çà continue, c’est ma santé que je vais foutre en l’air. Pourquoi n’arrive-je pas à me défaire d’elle ? J’ai l’impression d’être ensorcelé…

Heureusement encore, (grâce à Maman, la mienne), j’avais un toit, sinon j’étais bon pour dormir sous les ponts et même si il y en a de sympas dans la région, j’aurais quand même du mal à penser à mon futur enfant en dessous et encore moins de facilités juridiques à l’accueillir.

En résumé, j’avais quitté mes amis musiciens, tous mes amis, ma vraie vie, mon job, et ma famille me voyait dépérir, mais malheureusement, c’était irrévocable. J’avais tout perdu et rien n’allait mieux. Mes nuits étaient encore et toujours plus solitaires, je rêvais de promener dans un landau ce marmot qui braillerait à tout vent son envie de se taper son biberon. Se faire arrêter par les gens du village qui mettraient leur nez au dessus du berceau en postillonnant qu’il est adorable ce bambin, et, en changeant sa couche, je lui bisouillerais les doigts de pieds, pensant qu’il a vraiment les mêmes gros orteils que son père… On est quand même un peu con lorsqu’on est Papa pour la première fois… Ou ais-je mis son doudou ? Ah !! Je craque…

Oui ! Je rêvais de cela à présent, car j’avais fais un choix de ma vie. Alors, autant le vivre à fond, ce changement. Mais, c’était sans compter sur des éléments que je ne pouvais maitriser. Madame, ne voyait pas les choses comme moi.

Plus les jours passaient, plus je m’accrochais. Et plus je m’accrochais, et plus elle m’ignorait. J’avais entendu parler de ce dicton qui dit : Suis moi, je te fuis, fuis moi, je te suis… C’était exactement çà.

La fin du printemps se précisait, et je donnais un coup de main comme je le pouvais aux paysans du coin, pour la fenaison. L’épiaison s’étant faite plus tôt, l’eau de ce début de saison avait largement participée à garnir les pâturages, et le soleil cognant par-dessus avait avancé la date. Bien sûr, le travail était dur, à la force des bras et d’une fourche, on lançait les bottes de foin sur le chariot, et c’est le marcel qui trinquait, vu que d’autres habits n’étaient pas supportables sur nos dos. Mais même dégoulinant de sueur, je sentais ma vie changer, même si je me l’interdisais. Quelques bonnes choses me réchauffaient le cœur. Des gens que je ne connaissais que si peu, m’envoyaient avec le foin dans la grange, un élan de sympathie, d’amitié. Ils me criaient :

-Attention !!!! Choppe bien la balle et ne tombe pas dans le trou….

–Quoi ?

-Ne tombes pas dans le trou de balles…

Vu l’ampleur du labeur accompli, Le soir, personne ne refusait le repas, on se retrouvait tous dans les grandes cuisines qu’offrent nos jolies fermes. Qui, qui bosse chez nous, en Lorraine, mange chez nous… Bien souvent même, je repartais avec un litre de lait tout frais, tiré de la traite du soir, une demi-douzaine d’œufs ou un bocal de pâté fait maison. Je culpabilisais de me mettre à table avec ces gens si aimables, si humains, si conviviaux, si vrais, rustres mais solidaires, alors que ma ‘’ meuf ’’ était seule chez elle, portant notre enfant, et que d’un simple appel, elle pouvait avoir ce bonheur et ce naturel alimentaire à portée de main ! Cà aurait sûrement été meilleur pour elle et pour le fœtus, que les boites de conserves et autres fast-foods qu’elle ingurgitait. Des amis, des vrais, dans le travail et dans la sincérité. Pas de jugements ! Pas de soucis ! Elle aurait été accueillie avec simplicité et amitié, à n’en pas douter…. Cà voulait dire quelque chose chez nous en ce temps là, l’humanisme et la vie de voisinage.

Je ne m’autorisais pas de plaisirs si je n’étais pas près d’elle, la croyant triste et abandonnée. J’avais toujours cette sensation en moi. Alors, qu’en fait, elle vivait sa petite vie comme elle l’entendait, et profitait très bien de son statut de future maman célibataire.

-On te retrouve pour la moisson Dédé ? On peut compter sur toi ?

-ben je ne sais pas, j’attends un enfant ! Ca dépendra de pleins de choses !!!!

-Tu viens quand tu veux, la porte est toujours ouverte, et si elle ne l’est pas, tu peux passer par l’écurie, tu connais le chemin. Tu es chez toi !!!! Bon courage, en tout cas !!!

L’été s’annonçait bien au regard des blés qui blondissaient de plus en plus, et quelquefois lors de mes promenades solitaires dans la prairie, je m’asseyais sur une pierre et regardais le vent chaud de cette fin juin faire bouger les épis comme des vagues sur les champs. Je m’imaginais être au bord de la mer à scruter les bateaux à l’horizon, alors que ce que je comparais à des voiliers, n’étaient que des éoliennes ventilant la ligne bleue de l’horizon. Pas question de vacances pour moi, je n’en ai ni les moyens, ni l’envie. La moisson sera bonne cette année, le quintal se vendra bien, c’est sûr, et vu la tournure que prend ma position de futur père, il y a fort à parier que je ferai la paille avec mes voisins cet été, et sûrement le regain aussi.

J’évitais cette année là, à participer aux feux de la Saint Jean. Les flammes de ces grands feux auraient mis trop en exergue mon visage triste et mon regard de cocker. Je me renfermais dans ma chambre et j’écrivais...

... Effectivement, j’ai mis la main à la pâte, pour remplir les greniers de cette paille bien jaune pâle qui pique partout quand les brindilles te tombent sur les épaules. J’ai passé de bonnes soirées bien arrosées autour des tables à rallonges avec tous les ouvriers et les palefreniers, qui participaient à la moisson.

La deuxième échographie nous révéla le sexe de notre pitchoun. Il m’avait été conseillé d’aller reconnaître mon enfant prématurément en mairie, puisque nous n’habitions pas ensemble et qu’apparemment, vu mes finances, (aux dire de Madame), ce n’était pas du tout en prévision. Je n’étais juste bon qu’à payer les frais de toutes sortes, et repartir bien bravement d’où j’étais venu.

Les patates ramassées et les chaumes brulées, la prairie re-brunissait rapidement, et comme disait ma grand-mère : Quand les champs sont labourés, l’été est bien fini. Mais ce W-E du quinze Août, était encore lourd de chaleur et même si les jours raccourcissaient, il faisait bon s’asseoir sur le banc le soir, derrière la maison, et sentir la rosée tomber sur l’herbe fraîche que le voisin venait de couper pour ses lapins.

Six mois de grossesse, et nous n’avons partagé que dix à quinze jours de vie ‘’commune’’. Quelle torture. Comment peut-on faire autant de mal sentimentalement alors, que je ne demandais qu’une vie de couple et de famille paisible. Et c’était possible, nos finances n’étaient pas si désastreuses que cela.

Puisque j’avais le temps de réfléchir, durant ces quelques mois passés solitairement, je me disais que notre amour n’existait probablement que dans un sens. Rien ne fonctionnait jamais avec Madame. Lorsque j’étais trop doux, trop prévenant, elle s’engouffrait dans la brèche et s’en donnait à cœur joie pour m’humilier, pensant que ma douceur était ma faiblesse. Lorsque je mettais les points sur les ‘’ i ‘’, parce qu’elle allait un peu trop loin dans ses mots ou dans ses actes, elle ne supportait plus de me voir à coté d’elle. Alors, bien souvent pour calmer le jeu, et surtout ne pas mettre en péril sa grossesse, je mettais à exécution ses mots et je partais de chez elle.

L’automne venait de me surprendre. Il était bien là, avec son lot de lumières changeant. Les feuilles des arbres jaunissaient, rougissaient, brunissaient, s’envolaient un peu partout dans la grand rue de mon village et venaient s’encastrer sur les devant de portes des granges, là ou les creux sont les plus profonds, à cause du passage répété des tracteurs et des tombereaux qui rentraient et sortaient sans cesse des fermes. Faut dire que çà mange beaucoup des vaches rentrées à l’écurie. C’était tout de même agréable de fouler les chemins de la forêt en traçant deux lignes avec mes pieds au milieu des sentiers recouverts de feuilles mortes. Le soleil ne réchauffait plus que les cœurs, les bonnets avaient remplacés les casquettes, et je comptais les stères de bois que je venais de couper. Je veux tout de même être sûr d’en avoir assez pour passer l’hiver.

Les routes de ma campagne longuyonnaise commençaient à être boueuses, du fait de la récolte des betteraves. On voyait bien au bord des champs ravagés par les grosses roues des tracteurs, ces boules brunâtres entassées comme de gros tas de pierres, et le seul chemin que je faisais à présent en voiture, était pour rendre visite, et surtout apporter des courses à la Maman de mon enfant. Je devais faire très attention pour ne pas glisser dans la gadoue avec ma pauvre bagnole qui fatiguait un peu, elle aussi.

La toussaint passée, les premières gelées arrivèrent, et c’est devant la cheminée de la cuisine, (seule pièce de vie chaude dans cette fermette), que je comptais le temps. Les fenêtres de ma chambre à l’étage givraient de l’intérieur, mais sous mon gros édredon, je me faisais une raison. Je vis… Et ce n’est pas un -15° qui me détruira.

La troisième échographie, j’eus bien sûr la chance de la voir, et tout se passait bien. Pour l’enfant, tout du moins. Je payais les rendez-vous clinique par chèque, pensant garder une trace de ma présence lors de ces entretiens, et bien souvent, je repartais chez moi après. Les jours de chance, si Madame était en forme, nous allions manger ensemble un morceau à la cafétéria d’un supermarché près de la clinique, je les reconduisais, et je m’en allais, puisque je n’étais pas invité à entrer dans l’appartement…

Je n’avais pas d’ordinateur à l’époque, c’est sur des feuilles de papier que je confiais ma détresse le soir dans ma chambre bureau. Collé contre un vieux poêle à pétrole, qui avait bien du mal à chauffer la pièce, clopes sur clopes, je composais toujours, mais ce n’était plus des musiques. C’était des lettres. Je n’avais plus la force ni la créativité. Mon moral s’amenuisait et souvent, c’était le whisky qui m’aidait à m’endormir. Mes jambes portent encore les stigmates, d’avoir voulu me réchauffer trop près de ce foyer qui était ma seule source de réconfort. Je m’endormais parfois collé contre lui. (D’un geste machinal, je gratte mes cicatrices, c’est dire si le temps n’a aucuns effets sur mes souvenirs). Je me souviens d’avoir écrit une nuit, une lettre de douze pages recto-verso, pour lui dire tout ce qui n’allait pas, que notre relation pourrait être belle si elle m’en donnait l’occasion. Je recopiais toujours mes écrits au propre pour les lui envoyer, et je gardais les brouillons. Je faisais l’aller et retour, (100 kms), deux ou trois fois par semaine, la nuit, pour aller les poster moi-même dans sa boîte aux lettres. Comme çà, elle les recevait quasiment au même moment que l’état d’esprit dans lequel j’étais.

La fin de l’automne se précisait au regard des grands froids qui se multipliaient. Sa grossesse arrivait à terme aussi. Je la suppliais de me laisser passer le dernier mois avec elle, que je pouvais l’aider dans les tâches ménagères, la soulager et surtout lui permettre de se reposer avant le grand jour. J’avais encore à ce moment là, une certaine force de conviction car elle accepta. (Ma naïveté était enfin récompensée…).

Trois semaines avant l’accouchement, je venais d’acheter un Saint Nicolas en chocolat, vu que nous étions le 6 décembre, (tradition oblige, chez nous, cette fête à autant d’importance, si ce n’est plus, que Noël), que maladroitement je dédiais à notre futur enfant. Mais comme il n’était pas encore né, je l’offrais à sa Maman pour que tous deux en profitent. ‘’ Tu ne penses qu’à ce gosse. Tu aurais pu m’offrir autre chose à moi…. ‘’. Cette dispute fût tellement violente en mots et en gestes que je ne pu faire autrement que de partir et ne plus jamais revenir. (C’est du moins la promesse que je m’étais faite). Je ne le pouvais plus avec tout ce qu’elle m’avait éructé de si dur en paroles, et je suis sûr que si je n’étais pas aussi costaud que je le suis, ce sont les coups qui auraient finit par pleuvoir sur moi. Ce n’était plus les hormones qui parlaient cette fois-ci, (comme je le croyais), c’était vraiment de la méchanceté gratuite, pour asseoir ma soumission et faire de moi son bon vouloir. Car son plaisir était là. Dominer, provoquer, casser, détruire. Humilier pour le plaisir. Se gaver du traumatisme psychologique de ma personne, pour jouir d’une certaine force. Mais laquelle ? Jamais devant quelqu’un, toujours lorsque nous étions seuls.

De retour chez moi pour la soixante dix huitième fois au moins en huit mois, (et ultime rupture), je me faisais une bonne soupe avec les légumes que j’avais cultivé les 3 saisons précédentes. Non pas que j’eusse de l’appétit, mais tenir le coup au chaud près de la cuisinière à bois par ce froid était mon but, (parce que chez moi, même dépressif, je ne me laisse pas mourir, et il n’en était pas question, ne serait-ce que pour l’arrivée de l’enfant), lorsque devant la porte de ma maison vers les 14 heures, Madame apparu. Cela faisait deux semaines que je n’avais plus eu de ses nouvelles. Et comme si rien ne s’était jamais passé, elle me fît un bisou et me souriait. Je la fis entrer, son ventre était plus imposant qu’un ballon de foot caché sous un t-shirt, elle n’avait pas mangé et je lui préparais un repas. Elle voulu faire une sieste dans mon lit, et désira que je vienne à ses cotés. Je m’interrogeais quand même de savoir si ce n’était pas dangereux pour l’enfant ? Le soir même nous repartions chez elle avec quelques habits de rechange que je pris, elle insistait vraiment pour que j’assiste à l’accouchement.

Arriva le jour où Bébé frappa à la porte de la lumière terrestre. A la clinique, j’étais un peu dans les ‘’ vapes ‘’ en voyant ce petit bonhomme pousser son premier cri. Mais quel bonheur…

Les cinq jours qui suivirent furent un vrai délice pour moi. Malgré le froid, la neige, j’étais présent tous les jours, à chaque instant pour ma petite famille. Dur, dur d’être un Papa, mais je me débrouillais pas trop mal. Entre les bains, les biberons et les couches, je découvrais cette vie et je retrouvais un peu ma place.

Sortis de la maternité avec notre petit garçon dans son landau, nous vécûmes quatre mois ensemble. Enfin, moi, quatre mois chez elle, presque sur un nuage, tellement cet enfant nous avait remplis de joie.

Une nouvelle dispute, provoquée une fois de plus par Madame un soir ou elle me sentait trop tranquille, me fit partir de chez elle, m’en retourner chez moi, pleurer de tous mes yeux, le fait d’être séparé de mon fils, et de la femme que j’avais aimé, comprenant ‘’enfin’’ que toute vie de couple avec elle serait impossible. Les derniers mots que j’ai réussi à dire avant de couper définitivement toutes relations furent : ‘’ Tu rencontreras beaucoup d’hommes dans ta vie, mais tu n’en garderas aucuns ‘’. Mes propos étaient beaucoup plus vulgaires, et tellement explicites, que je n’ose les rapporter ici…

Il n’y a pas plus inhumain que de vivre la grossesse de son enfant, seul, éloigné, écarté, sans rien voir ni partager de la création sur 3 saisons d’un petit être humain.

C’est le juge aux affaires familiales qui prit la décision, (au vu de la situation), de me donner un droit de garde et de visite élargi aux mardis soirs et mercredis, ainsi que les week-ends. Mon fils avait à présent onze mois.

Il découvrit mon univers campagnard, et j’étais heureux de le voir courir dans mon jardin. Il adorait jouer dans le petit bac à sable que je lui avais confectionné et me montrait toujours du doigt, lors de nos promenades, les portes des étables. Il voulait voir les animaux dans les écuries.

Un jour, alors qu’il devait avoir 4 ou 5 ans, il me demanda :

-C’est vrai Papa, qu’avant tu as habité avec Maman ? Il ne vit jamais mes larmes couler sur la toile cirée de la table de la cuisine.

Depuis, vingt et unes années se sont passées, la petite graine fait un mètre quatre vingt cinq, et des tonnes de grains de blé ont germés dans nos terres depuis tout ce temps. J’ai refait ma vie, (comme on dit), et elle est bien refaite. Dans pareil cas, généralement, on ne se fait avoir qu’une fois. Et bien souvent, personne ne sait le nombre d’années qu’il faut pour se reconstruire…

Lorsque de temps en temps, mon fils vient me voir, je ne peux m’empêcher d’avoir une boule de tristesse au ventre lorsqu’il repart…

… Comme quoi, lorsqu’on parle du loup, on en voit la queue. Mon téléphone sonne, je le sors de ma poche, c’est mon fils qui m’appelle.

-Allo ? Papa ?

-Salut Fiston ! Comment vas-tu ? bien ! Super ! Le boulot ? La vie ? Tout baigne ?

Ah ! Ta mère a encore quittée son dernier copain !

La boite que je ne tenais plus que d’une main m’échappe, tombe le long de l’échelle du grenier et vient s’éclater trois mètres plus bas sur le sol en béton du garage. Le scellé et les ficèles n’ont pas résistés, le couvercle s’est désolidarisé de la boite.

Du haut de mon perchoir, je la regarde et je vois son contenu. Une petite paire de chaussons en laine, de couleur bleu pâle, un bracelet de naissance avec le prénom de mon fils inscrit dessus, et une tétine. Pas de lettres, ni de papiers… Étrange…

– Mais bien sûr ! Quel idiot ! Pense-je ! J’avais brûlé ces brouillons quelques mois après sa naissance, en rompant définitivement avec sa maman, bien décidé à ne garder aucunes traces de ce passé qui m’avait tant fait souffrir.

- Que se passe-t-il Papa ?

-Rien fils ! Je viens de faire tomber une vieille boite en ferraille.

- Ah ! D’ailleurs, Papa, en parlant de boite, tu sais que je m’en vais de chez ma daronne, j’ai trouvé un appart ! Et, en faisant le tri dans les affaires au grenier, j’ai retrouvé une boite à chaussures en carton avec pleins de courriers. Je crois que ce sont des lettres à toi, parce que je reconnais ton écriture sur les enveloppes. Elles n’ont pas été ouvertes, et au dos de chacune, il y a tes initiales et des noms de saisons, mais y’a pas l’hiver. Elles sont datées de mon année de naissance. Est-ce que tu veux que je te les rapporte ?

Allo ! Papa ????

A.S.

Trois saisons...
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